CONCLUSION
Vous vous en doutiez peut-être un peu, mais je n’ai pas eu une minute à moi depuis quelques jours. Les déplacements, les ennuis de santé du Premier Ministre, les efforts de campagne à faire depuis l’échec total de Publicis, et la grogne due au lundi de Pentecôte ont mis à mal mon emploi du temps. L’envie de réécrire n’est revenue que lorsque le Président de Djibouti est venu en viste. Il m’a tellement cassé les pieds que, de rage, j’avais fini par reprendre la plume pour me calmer, mais en relisant le billet, je me suis rendu compte que c’était une véritable déclaration de guerre envers Djibouti.
Ce n’est pas que j’ai tellement peur de Djibouti en tant que tel. C’est tout petit et plein de mal nourris. Leur armée n’a rien d’effrayant, que ce soit par le nombre ou par la force des combattants. Et ils n’ont que 7 chars tout cassés et tout minables. Je ne prétends pas que l’armée française soit la plus impressionnante de la planète, mais contre Djibouti, je pense qu’on a nos chances. Bref, ce n’était pas par crainte de ne pouvoir gagner une éventuelle bataille face à cette formation ridicule.
Non, c’était tout bêtement par politesse. Même si leur président est énervant, je tiens à manifester toute mon amitié et toute ma sympathie au fier et honorable peuple de Djibouti.
Je suis aussi allé à Moscou. C’est une bien jolie ville, où il fait très froid. Vladimir Poutine a accueilli personnellement la délégation française et en passant devant moi, il a fait semblant de me donner un coup de poing en disant : ” Je ferai un effort à table, ah ah ah, vous être trop chochotte “. Il a effectivement été plus détendu au déjeuner que la dernière fois, mais rétrospectivement, c’était peut-être pire, puisqu’il poussait de grands cris de kamikazes en découpant sa viande, les yeux injectés de sang. Je n’ai rien pu avaler.
Ensuite nous sommes allés fleurir des tas de tombes un peu partout, en chantant des choses en russe et en restant bien droits. Puis je suis allé m’expliquer avec Hu Jintao au sujet de ses textiles, mais il m’a offert une veste d’intérieur en soie avec un dragon brodé en fils d’or, très fin, alors, par politesse, je n’ai pas pu dire grand chose.
Le moment le plus préoccupant de la semaine aura été l’hospitalisation de Jean-Pierre Raffarin. Peut-être n’êtes vous pas au courant, mais votre Premier Ministre a été hospitalisé cette semaine de la vésicule biliaire, laissant tout son entourage mort d’inquiétude. Heureusement, l’opération s’est bien passée, et sa convalescence fut pour lui l’occasion de reprendre du poil de la bête. Je suis allé lui rendre visite plusieurs fois par jour. Je lui ai apporté des fleurs, des chocolats, des kiwis pour lui faire une farce, un livre et un jeu de l’oie. Mon épouse lui a offert un rubik’s cube, vous savez, ce casse-tête énervant que de jeunes mathématiciens résolvent en une minute trente à la télévision quand vous êtes dessus depuis cinq mois. Et Nicolas Sarkozy lui a apporté une console de jeux électroniques portable, avec quelques cartouches, dont une très marrante où il faut empiler des briques qui tombent du ciel, et une autre où il faut être maire d’une ville. Avec ça, il ne va plus travailler. Si le non l’emporte, il faudra que je lui confisque.
Quelques autres sont venus avec des présents. Dominique Perben lui a offert un de ces livres de bibliothèque qu’on ne lit jamais, je crois que c’était ” Matisse, la passion fauve “. A la tête que Jean-Pierre a fait en ouvrant le paquet laissait entendre qu’il n’était pas spécialement porté sur la peinture. Il a été beaucoup plus enthousiaste devant de disque de Johnny Hallyday et celui de Lorie que lui ont donné Philippe Douste-Blazy et Michel Drucker. Olivier Besancenot lui a envoyé une carte à musique ” Meilleurs Voeux de rétablissement ” sur laquelle nous sommes tous restés perplexes, ( et aujourd’hui, je m’interroge d’ailleurs encore sur le sens de ce geste ), et Dominique Ambiel lui a offert un livre sur les promenades à faire dans les bois et forêts d’Ile-de-France. Thierry Breton lui a fait livrer des maquettes de vaisseaux spatiaux, et Jean-Louis Borloo, des Légos pompiers. Enfin, Laurent Fabius est passé le voir pour lui expliquer que sa campagne contre le Oui n’avait rien de personnel, mais qu’il fallait bien qu’il pense à son avenir, qu’il était désolé, qu’il ne pensait pas que ça lui détraquerait la santé, que si il avait su, il aurait été plus discret…
Fabius m’a l’air mal en point. François Hollande, convoqué l’autre jour, m’a expliqué qu’il s’excusait auprès de tout le monde, même auprès de ses propres partisans, toujours en expliquant qu’il faut bien qu’il pense à son avenir, que ça ne l’amuse pas de manger des saucisses avec José Bové ou de supporter Mélenchon, mais qu’il est bien obligé s’il veut un poste important et nourrir décemment sa famille dans les années futures… Puis il éclate en sanglots et reste prostré pendant des heures. ” Je n’ai rarement vu quelqu’un aller autant contre sa nature ” m’a confié Hollande ” il est toujours au bord des larmes, il en est déprimant. A mon avis, c’est le prochain à qui il va falloir offrir des cadeaux à l’hôpital. ”
Si quelqu’un a des idées…
” Monsieur le Président
Le Oui remonte, vous l’avez constaté, nos efforts ne sont donc pas vains. Dans l’espoir de voir se poursuivre cette tendance positive, nous vous proposons l’affiche suivante.
Nous comptons, à travers ce visuel, diffuser un discours optimiste et enthousiaste sur le Oui, en utilisant des codes facilement compréhensibles par la jeunesse. La posture désinvolte qui est la votre inspire la confiance et la sympathie, et nous pensons que les 18-35 ans seront très sensibles à cette marque de décontraction.
Notez que cette affiche est déclinable : Nous vous la suggérons pour l’Opération Pièces Jaunes, par exemple, ou pour annoncer des manifestations franco-japonaises.
Veuillez accepter, Monsieur le Président, nos plus respectueuses salutations,
Olivier Altmann, directeur de création, Publicis Conseil ”
” Monsieur
La campagne que nous vous avions confiée est annulée. Vous serez également aimable de vous présenter à mon bureau lundi matin à 9h précises.
Jacques CHIRAC, Président de la République Française. “
J’ai perdu une feuille de note. C’est emmerdant.
J’ai une intervention télévisée dans quelques heures, et j’ai perdu une feuille de note. Je ne suis pourtant pas quelqu’un de désordonné, mais quand j’égare quelque chose, je l’égare bien, et il est impossible de remettre la main dessus. Et la moindre contrariété, le moindre grain de sable dans les rouages de ma minutie et de ma méticulosité me met vite les nerfs en pelote. Si je ne remets pas la main sur cet aide-mémoire, ce soir, ce sera du joli.
J’ai commencé par examiner un à un les papiers de la corbeille : il y avait là pêle-mêle un emballage de barre chocolatée, deux lettres de supplications de chômeurs en fin de droit, une pelure de pomme, une circulaire informative, un post-it de mon épouse me demandant de lui téléphoner dans l’après-midi, un dossier sur Cadarache que j’avais fini d’étudier, et une carte de vœux de Nicolas Sarkozy me félicitant pour mes 10 ans de présence à l’Elysée. Carte du meilleur goût représentant un petit chien disant « au revoir » avec la papatte lorsque l’on actionne une languette en papier.
Mais pas ma feuille de note.
Dans les tiroirs de mon bureau, rien de particulièrement digne d’intérêt entre le faire-part de décès du Prince Rainier, une balle confisquée à mon petit-fils lors d’une de ses visites et des lettres parfumées de vieilles dames me proposant de divorcer.
Et dans les classeurs, rien que des papiers bien rangés, bien classés, par ordre alphabétique, sauf dans un dossier sur les indépendantistes alsaciens qui trainait là je ne sais pourquoi, vu qu’on ne s’en occupe plus depuis longtemps. J’ai du vouloir relire des faits divers insolites, sans doute. Et naturellement, toujours pas la plus petite feuille de note.
J’espère ne pas me tromper ce soir dans des chiffres ou sur des intitulés d’articles. Le direct est un exercice difficile, ces derniers temps. On devrait pourvoir enregistrer ces émissions. J’ai appris que Dominique Strauss-Kahn, qui n’en finit plus d’explorer les nouvelles technologies, avait quant à lui été malin et avait sorti un DVD. Au moins, il ne risque pas de se tromper.
Je l’ai regardé, c’est fort joli. Il se promène d’un pas calculé dans un beau décor en image de synthèse, regarde différentes caméras d’un air concerné, et des effets spéciaux amusants, quoique manquant un poil de sobriété, viennent enrichir un format un peu triste. On dirait Jean-Claude Brialy ou Robert de Niro.
Je regrette de ne pas avoir eu l’idée du DVD. Normalement, c’est à moi qu’aurait du revenir le privilège d’avoir un monologue bien écrit, sur fond d’hymne européen. C’est moi qui aurait du dire ” mes chers compatriotes ” entouré des drapeaux de la France et de l’Union. Au lieu de quoi, me voici avec une bannière web évoquant un restaurant mexicain, deux badges de contestataires de 68 et une campagne publicitaire qui prend l’eau. Et quand Strauss-Kahn peut, lui, grâce à des conseillers en communication compétents, s’adresser sans risque à l’ensemble des français, ma propre fille me poignarde dans le dos en me catapultant entre Marc-Olivier Fogiel, Jean-Luc Delarue et 83 jeunes crétins, bêtes au point de se demander si le tri sélectif sera annulé si il ne figure pas dans le Traité Constitutionnel.
Je signale à toute fin utile que si la Constitution ne mentionne pas que respirer est indispensable, ce n’est pas une raison pour s’arrêter. Ou pour continuer à le faire en clamant que l’on est un marxiste révolutionnaire, effectuant courageusement une Grève de la Mort pour lutter contre l’oppression.
Ne le nions pas : j’ai eu en voyant ce DVD un sérieux coup de vieux teinté d’une pointe de jalousie. Néanmoins, la bataille pour ce Traité vaut bien que l’on enterre la hache de guerre quelques temps. J’ai donc convoqué DSK hier à l’Elysée pour lui proposer d’oublier les divergences et les fâcheries, et de sceller une alliance forte, qui permettra au Oui de prouver qu’il dépasse les clivages partisans. Et, puisque nous sommes tout deux férus de technologie et que nous avons compris la beauté d’internet, nous avons décidé, symboliquement, de lier, de “linker” nos blogs. Désormais, mon blog conduira au sien et le sien conduira au mien, bien qu’il aie refusé - insolemment, je trouve - de placer ma bannière au kiwis sur son site.
Qu’importe. La victoire vaut bien quelques petits sacrifices. Et que cette initiative serve de leçon aux personnes qui jouent le jeu dangereux de l’isolement politique.
Pour conclure sur un registre plus sympathique, dimanche aura été une magnifique journée. Des représentants des marchés de Rungis sont venus à l’Elysée, personnellement, dans leurs camions, et m’ont exposé les différents produits du terroir vedettes de 2005. Le muguet était évidemment à l’honneur, j’en ai reçu de pleins bouquets, vu que tous les marchands sont venus m’agiter leurs clochettes sous le nez, et me suis découvert une allergie au muguet que je ne me connaissais pas. Egalement bien côté dimanche, le kiwi, naturellement, dont j’ai reçu pas moins de 17 corbeilles de cultivateurs inspirés que je remercie pour cet original cadeau. En bonne position encore, les pommes, le poivron ( excellent légume… fruit… ou légume… ), la tomate cerise, la violette, le piment et le haricot vert, produits dont j’ai eu le privilège de goûter un exemplaire de chaque. Je peux vous affirmer que les piments sont particulièrement réussis cette année. Ma pauvre épouse pourra vous le confirmer.
Petit bémol, le brin de muguet du Président de la Semmaris. J’ai conclu mon discours en le félicitant de son superbe brin de muguet, mais, au risque de maintenant le peiner, il faut avouer qu’il n’était pas terrible, son muguet, il était même franchement minable. Sur toutes les personnes présentes, il avait le muguet qui se défendait le moins bien. Clochettes minuscules, feuilles rabrougries et tige chiffonnée, à mon avis, il avait du s’asseoir dessus sans faire attention, parce que c’est de loin le brin de muguet le plus vilain qu’il m’aie été donné de contempler.
Je n’ai toujours pas ma feuille de notes.
Et il faut que je parte.
Pourvu que je ne me trompe pas…
Désoeuvré, c’est le mot.
C’est Borloo qui l’a trouvé. Il m’a téléphoné il y a deux jours en me disant : ” Eh bien, Monsieur le Président, vous n’avez pas l’air tellement frais, ces derniers jours, vous devriez aller au cinéma et arrêter de penser au référendum “.
Il a raison. Je suis absolument écoeuré par le référendum, la constitution, le non, le oui. Malgré les louables efforts de François Bayrou, d’Alain ou de François Hollande. Hollande se montre très sympathique. Il m’appelle jusqu’à sept fois par jour pour m’encourager, son record est même pour l’instant de treize coups de fil en une après-midi. De longs coups de fil passionnés, pendant lesquels il me parle comme un pompier héroïque dans un film catastrophe. Vous savez, le ton de l’homme courageux et responsable, qui refuse de voir s’installer l’abattement chez ses voisins et qui leur dit : ” Allez, Bill, tu vas t’en sortir, il faut croire en toi ! Parfois, l’espoir, c’est tout ce qu’il nous reste ! “, alors que la victime a perdu une jambe, est épuisée, et a un bras coincé sous les débris du toit de l’immeuble en flamme. Et la victime s’en sort quand même.
C’est exactement ce que je ressens. La France représente l’immeuble en feu, avec, dans le rôles des flammes, les partisans du non et les jeunes. Alain, c’est la jambe qu’il me manque.
Olivier Altmann est bien gentil aussi, il passe son temps à m’écrire pour mettre au point la campagne de communication que nous lui avons confiée la semaine dernière. Quelques esquisses me sont parvenues, toutes fort peu convaincantes, en dehors de celle de vendredi, accompagnée de la lettre suivante :
” Monsieur le Président,
Les travaux avancent pour la campagne. Nous avons pu remarquer, après sondage, que votre blog remporte un succès très large auprès de 87% de la population française. Nous vous proposons d’exploiter cette vague de sympathie en récupérant une référence de votre blog, à savoir le kiwi, fruit que vous avez immensément popularisé, et de le reprendre pour votre campagne, sur votre journal et sur ceux qui désirent en parler.
Nous vous avons donc confectionné cette bannière web.Vous comprendrez bien évidemment l’astuce sémantique et visuelle. Cette initiative rigolote recouvre de plus un vrai discours de fond, puisque le kiwi, vous l’avez souligné, est un fruit symbolisant l’énergie et le dynamisme, ce qui manque, nous le pensons, à votre campagne.
Cordialement,
Olivier Altmann, directeur de création, Publicis Conseil. “
Bien évidemment, j’ai immédiatement ordonné que soient abandonnés tous les travaux actuels de l’agence sur les autres points de la campagne pour décliner cette merveilleuse idée sur tous supports. Des t-shirts seront confectionnés, et les fêtes seront placées sous ce signe des tropiques. Un peu d’exotisme et de chaleur dans cette période maussade seront les bienvenus.
D’autre part, une station de radio s’est proposée pour diffuser une émission sur le référendum, moyennant finance, en m’envoyant le courrier suivant :
” Monsieur le Président,
La campagne pour le référendum bat son plein, et nous avons appris que vous aviez débloqué 4 millions pour l’amplifier et lui donner un caractère plus dynamique et plus jovial. C’est pourquoi nous vous proposons, en échange d’une partie de cette somme, de promouvoir votre position. En effet, notre radio s’appelle Oui FM, et ce qui n’est qu’une amusante coïncidence pourrait vite tourner à votre avantage, si nous diffusions quelques jingles orientés et si vous acceptiez de venir à notre Big Chirac Référendum Rock Show, animé par Gilles Verlant, que nous pourrions enregistrer en public à l’Elysée d’ici une quinzaine de jours.
Cordialement,
Michael Gentile, directeur général, Oui FM “
Un peu échaudé par le débat télévisé, et surtout par les jeunes, j’hésite encore un peu, mais Claude semble emballée et bénie cette proposition tombée du ciel. Je ne sais pas. Je ne le sens pas très bien. Je ne veux plus parler de cette campagne.
Quoiqu’il en soit, j’ai écouté conseil de Borloo, et j’ai emmené Omar Bongo, le Président gabonais qui est venu jeudi, voir un film dans un des cinémas de l’Elysée. Nous avons assisté à la projection d’un long métrage inepte, Brice de Nice. Je n’étais pas au courant. Je m’apprêtais à m’excuser, mais comme Bongo était hilare, je n’ai rien dit, et je l’ai entendu rire pendant une heure et demie. Voir une comédie qui ne nous fait pas rire avec un hystérique qui lui la trouve très drôle est un des multiples supplices quotidiens dont on ne parle pas assez. On s’ennuie, on aimerait partir, mais non seulement l’autre ne veut pas quitter la salle, mais en plus il vous fait sentir idiot. Immanquablement, vous finissez par vous demander si vous comprenez bien tout ce qui se passe à l’écran. Il vous semble que vous saisissez le ” pourquoi ” du mécanisme du gag, et que vous admettez son caractère humoristique, mais rien à faire, le rire ne vient pas. Même en vous forçant.
Situation aggravante, Omar Bongo rit très fort et très bruyamment, communiquant son hilarité aux personnes présentes autour de lui. Et je suis parfaitement insensible à ce genre de réaction. Bref, la salle, au final, était secouée de spasmes et se tenait les côtes, et moi, je restais droit comme un piquet, affligé. Bongo s’est retourné vers moi lors d’un passage qui lui semblait particulièrement loufoque, et devant ma mine atterrée, a redoublé d’hilarité en me montrant du doigt. Pesant et énervant. J’ai fini par me plonger en douce dans la contemplation d’une enveloppe de photos que la jolie Rosalina m’a envoyée suite à mon billet d’il y a deux semaines.
J’ai enfin souri.
Le Prince Rainier est donc mort. Le second chef d’un petit état rayonnant nous quitte. A la place de Hans Adam II, je commencerais à me faire du souci.
Je voudrais saluer avec force le généreux souverain qu’était le Prince, dont la croyance en l’Europe, en une Europe unifiée, était plus forte que tout. Il a triomphé de longues années de ses ennuis de santé uniquement pour pouvoir voir s’accomplir le Miracle Européen. Je l’ai eu au téléphone quelques jours avant sa mort. Parfaitement lucide sur sa situation, il ne s’est néanmoins pas apitoyé sur son sort, et seul le référendum du 29 mai semblait à ses yeux trouver un quelconque intérêt. A la suite d’un monologue émouvant, il m’a glissé, dans un souffle : ” La Constitution, Jacques… Faites votre possible, mais qu’elle ne meure pas… ”
Albert m’a par la suite confirmé que son dernier mot, avant de s’éteindre, fut ” Oui “. Je tiens à assurer à cette noble famille que la France et tous les français feront tout leur possible pour que le rêve d’un si grand homme devienne réalité.
J’ai téléphoné à Fillon, hier, parce que je me suis rendu compte que quelque chose n’allait pas avec les lycéens. Hier, j’ai été bloqué dans la circulation pas moins d’une demi-heure à cause de groupes de lycéens.
Intolérable.
Je comptais sévèrement le tancer, lui expliquer que son devoir était que les jeunes soient dans les lycées derrière un livre de mathématiques, et non pas batifolant dans les rues, la guitare à la main et des fleurs dans les cheveux. Et l’entretien s’est passé dans la froideur la plus complète : ces temps-ci, Fillon boude. Il en a ras-le-bol des lycées, des profs, des réformes, des cahiers, des crayons et du baccalauréat. Il est persuadé, m’a-t-il bruyamment signifié, qu’il a été nommé à la tête de l’Education Nationale pour se faire court-circuiter sa carrière politique. Je n’y avais pas pensé, mais c’est effectivement un bon truc pour se débarasser d’un rival encombrant. Je donne donc ce conseil à mes successeurs : mettez n’importe qui à la tête de ce ministère, et vous pouvez être sûr que son ascension s’arrêtera nette. J’aurais du appliquer la méthode pour Sarkozy.
Quoiqu’il en soit, ceci n’a en rien réglé le problème, il m’a même raccroché au nez sans dire ” au revoir Monsieur le Président “, et depuis, impossible de le joindre. Il parait, d’après Darcos, qu’il ” prépare des paquets ” et qu’il a ” acheté des chemises hawaïennes “.
J’ai dîné hier avec Jorge Sampaio, le Président portugais. J’aime beaucoup le Portugal, et le voir me faisait bien plaisir. Il était de surcroit accompagné d’une très jolie conseillère, une petite jeune femme répondant au prénom de Rosalina. Rosalina quelquechose, me semble-t-il. Elle lui passait ses dossiers, lui apportait ses papiers, lui disait gentiment ( et d’une voix claire et chaude aux intonations charmantes ) qui étaient les nombreuses personnes autour de la table, et il ne la voyait même pas. Elle était vêtue d’un tailleur strict, mais très féminin, noir finement rayé de blanc, rehaussé d’un foulard rose, et rayonnait au sein du cortège grotesque que nous formions, messieurs ventripotents en costumes anthracite. Et je me suis senti lourd et pataud, gêné même d’imposer à cette jeune nymphe, gracile et aérienne à la chevelure de feu, la compagnie d’un homme dégingandé, malhabile, et chauve.
Quand Jorge Sampaio, après avoir étouffé un rot après la tarte aux fraises, lui a signifié d’un hautain ” eh bien, Rosalina, vous pouvez rentrer à l’hôtel, mon repas est fini “, une brutale bouffée d’indignation m’a saisi, et il s’en est fallu de peu pour que ce comportement si peu galant ne me fasse perdre les pédales. Les souhaits maléfiques et les cruelles afflictions que j’aurais aimé formuler pour l’avenir du président portugais, dans ce monde et dans l’autre, auraient justifiés une déclaration de guerre éternelle entre nos deux pays.
Mais je me suis contenu. Et j’ai convié Jorge Sampaio à regarder l’émission d’Arlette Chabot. Mais il était dit que la soirée serait placée sous le signe de l’horreur. Quand j’ai vu, assis à une même table, Marine Le Pen et Olivier Besancenot marchant main dans la main, j’ai compris que le temps de l’Apocalypse était venu. La plus obscène des aberrations politiques était étalée là, sous nos yeux. D’ailleurs, malgré nos divergences usuelles, je tiens à tirer mon chapeau à Pierre Moscovici, qui a su contenir le haut-le-coeur qui le torturait pendant toute l’émission. J’avais parié 10 euros avec Sampaio qu’il ne tiendrait pas, qu’il allait se lever, et crier : ” Mais regardez-vous, enfin ! ” en les montrant alternativement du doigt d’un air dégoûté, avant de déchirer ses vêtements et d’aller hurler nu dans une forêt. Il ne l’a pas fait. Il s’est juste contenté d’un poli ” Comprenez bien que le Non que vous défendez n’est pas le même, et qu’une renégociation qui vous contenterait est impossible “. Bien tourné, mais manquant d’envergure offensive, moi, à sa place, j’aurais été jusqu’à faire appel à un exorciste.
Quoiqu’il en soit, j’ai perdu 10 euros, mais je ne regrette pas.
Et puis Sampaio est parti, avec sa femme, et je me suis retrouvé seul avec Bernadette et obsédé par l’image de la jolie conseillère portugaise. J’ai pris deux somnifères, nous nous sommes couchés et j’ai éteint la lumière. J’entendais dans le noir la respiration paisible, régulière, mais un peu rauque de ma femme. Je sentais l’odeur acide de ses cheveux surchargés de laque, et, à cause des mouvement de son sommeil, les draps, plus lourds que d’habitude, me serraient comme un linceul. Ils m’attachaient à elle et à notre grand lit de bois inconfortable et au parfum de meuble antique. La chambre, à la tapisserie vieillote, encombrée de rideaux épais, de décorations ridicules, de bibelots d’un autre âge, me paraissait trop grande.
Je n’ai pas très bien dormi.
La semaine n’a pas été facile, et le week-end guère plus. Les informations successives de l’état de santé du Prince Rainier et du Pape semblaient livrer entre elles une bataille farouche pour obtenir le titre de Plus Déprimante Nouvelle de l’Année. Je pensais d’ailleurs tout particulièrement aux chrétiens monégasques, doublement affligés en ces temps d’angoisse. Et puis hier soir, la nouvelle est tombée : Jean-Paul II, le Saint-Père, s’est éteint. Je tiens ici à rendre hommage, simplement, à un inlassable partisan du dialogue entre les peuples, à un homme de foi extraordinaire, et à un pèlerin de la paix infatigable. Son action exemplaire et son amour de l’autre resteront à jamais gravés dans nos mémoires. Je veux également souligner sa croyance en la démocratie, en l’union entre l’Est et l’Ouest, et surtout, surtout, en l’Europe.
Jean-Paul II croyait en l’Europe.
En la construction d’une Union stable aux institutions établies.
En un espace où la liberté et la démocratie seraient les valeurs de tous les peuples.
Aussi, sachons nous souvenir du rêve de ce Saint Homme quand le moment sera venu de décider de notre avenir.
Tout semble naturellement bien dérisoire, désormais.
Et le parcours chaotique de ces derniers jours finit par ressembler à un aimable roman humoristique. J’ai par exemple oublié une très importante malette au Japon, et je vais devoir la récupérer personnellement un de ces jours, alors qu’il faut absolument que je m’occupe de la campagne pour le Oui au référendum. J’ai vraiment très peu de temps à perdre. Il ne reste plus que deux mois pour contrer la montée grandissante du Non. Je ne vous le cache pas, j’en fais des cauchemars affreux :
Il y a sur une grande place publique une foule de gens qui avancent main dans la main. Ils arborent des dossards à l’effigie d’Olivier Besancenot et de Jean-Marie Le Pen. Ils ont des bâtons. Ils s’accouplent entre eux. Ils marchent militairement en disant ” Non. Non. Non. Non. ” comme des robots. Certains portent de grandes piques avec au bout les têtes énucléées des membres du gouvernement. Je reconnais pêle-mêle Michèle Alliot-Marie, Thierry Breton, Dominique Perben, et des corbeaux décharnés picorent leurs orbites… Je note l’absence de Patrick Devedjian, puis le repère, tapi parmi les manifestants, aiguisant un couteau. Et tous avancent vers moi en disant ” Démissionne. Démissionne. ”
Je tente de fuir, mais derrière moi, se dresse une autre armée, tout aussi redoutable. Des anglais, des italiens, des espagnols, des polonais… des Européens de tous les pays, avec même le Van Machin de l’autre jour, celui que j’ai vu à Bruxelles, sont armés de gourdins et de matraques. Et ils s’avancent, près à en découdre avec les autres, ressemblant comme eux à des zombies et des morts-vivants. Je m’aperçois que je suis coincé. Je ne peux plus rien faire. Si je veux aller à gauche, Jean-Luc Mélenchon me repousse avec une fourche ensanglantée. Si je veux aller à droite, c’est Philippe de Villiers qui surgit, chaussé de poulaines et un luth en bandouilière, me menaçant d’une masse d’armes aux piquants rouillés. Devant moi ? Une horde de révolutionnaires réclamant ma tête. Derrière ? Un océan d’hommes et de femmes de toutes nations, faisant claquer en rythme leurs horribles mâchoires aux dents pourries. Et tous s’avancent… Au moment où ils fondent sur moi, au milieu d’un brouillard étouffant, je me réveille, suant et leur coeur battant la chamade.
Pour mon bien, je pense qu’il serait grand temps d’annuler purement et simplement le référendum. Cela n’apporte rien, puisque la Constitution passera de toute façon, que ce soit en 2005, en 2007 ou en 2080, et je dormirai beaucoup mieux.
A part ça, j’ai tenu à vous faire part de quelques photos, car on m’a fait remarquer que ce blog manquait singulièrement d’illustrations. Bien volontiers, je vous livre donc quelques photos du discours donné au Japon pour la communauté française, devant quelque 2000 personnes. Des rencontres enrichissantes et un excellent contact. Nous avons parlé de l’influence française au Japon, pour ne pas dire son rayonnement, et des manifestations culturelles françaises qui tentent l’aventure japonaise. Par exemple le nouveau spectacle équestre du théâtre Zingaro, que Renaud Donnedieu de Vabres a personnellement tenu à promouvoir sur place. Bref, un très bon moment.
Mon discours.
Bernadette à l’entrée de la conférence.
Vue générale de la conférence.
Cet après-midi est le premier tranquille de mon voyage au Japon. Un séjour absolument mémorable en tout point, de la descente d’avion jusqu’à maintenant. Jamais, dans aucun pays, je n’ai été mieux accueilli. Les jeunes lycéennes me regardent avec la même adoration qu’un de ces chanteurs maigres à cheveux violets, vêtus de costumes à motifs zèbrés ou de pantalons en cuir. C’est très impressionnant, et, je ne le cache pas, très agréable. Ce culte véritable voué aux Français à travers ma personne me remplit d’émotion, surtout venant de la part d’un peuple si sage, si vénérable et surtout, d’habitude si peu enclin aux extraversions inutiles.
Mais ces jeunes femmes jalousent Bernadette. Elle représente pour elles la favorite à éliminer, l’Elue qui barre de sa présence leurs rêves d’adolescentes. C’est une groupie choisie entre elles toutes. L’idole doit, pour en être véritablement une, rester accessible dans l’imaginaire de ses adoratrices. Or, je ne le suis plus. Ca les frustre.
Sur ce coup-là, j’ai mal négocié mon affaire, j’aurais peut-être dû cacher Bernadette aussi.
A mon arrivée, j’ai décidé d’initier Breton au sumo. Pour ceux qui l’ignorent encore, le sumo est ce noble sport où deux guerriers géants mesurent leur force respective en tentant mutuellement de s’exclure d’une aire de combat, le dohyo, le plus souvent en se poussant l’un l’autre. Pour y parvenir, les deux sumotoris, entraînés depuis le plus jeune âge, font autant appel à leurs ressources mentales qu’à leurs capacités physiques : le sumo est un sport qui se gagne aussi avec le cerveau, et stratégie et tactique sont bien plus importantes que muscles et graisse. Ah, oui, comme vous le savez naturellement, les sumotoris sont en général très gros. Du moins dans les hautes compétitions, où ne parviennent guère à s’imposer les maigrichons et les rachitiques. Ces anémiques se tournent alors vers le karaté ou le kung-fu, des sports martiaux plus adaptés à leur faiblesse et leur fragilité.
Les sumotoris sont généralement vêtus d’une sorte de grand slip, le mawachi, et portent le chignon. La coiffure, d’ailleurs, fait partie intégrante de l’initiation et de l’entrainement. Au fur et à mesure des combats, ils montent en grade, et les plus grands sumotoris, qu’on estime invicibles, sont déclarés à vie ” Yokozuna “. Cela signifie, pour le champion, que l’on considère que personne ne poussera jamais mieux un type en dehors d’un cercle que lui.
Eh bien croyez-le ou non, mais Breton, mes histoires de dohyos et de mawachis, ça ne l’a pas du tout intéressé. Sa femme non plus. D’Aubert, pas plus. Ces trois-là se sont pris d’un intérêt subit pour une grille de mots croisés pendant le tournoi, je les ai bien vu, ils cherchaient à la planquer dès que je tournais là tête, mais on ne me berne pas comme ça, et d’ailleurs, si vous voulez le savoir, le fameux vertical de dix lettres sur lequel vous avez tous séché comme des enfants, c’était ” strippoker “.
Bernadette, même elle, s’est endormie, et pourtant, je lui explique ces bases élémentaires plusieurs fois par semaine, ça devrait la fasciner, à force, eh bien non, elle s’en fiche éperdument.
Tout ceux qui m’accompagnaient se sont montrés d’une insolence incroyable, et ont affiché un dédain visible pour le combat que nous étions allé voir. J’étais très déçu. La prochaine fois, on ira au stade voir un match de foot.
A ce propos, je tiens à féliciter le jeune crétin que j’ai eu au téléphone à la Fédération Française de Football la semaine dernière. Quand j’appelle discrètement pour suggérer ” l’idée d’une confrontation amicale sur le sol d’un merveilleux pays asiatique - l’empire d’hommes sages et réservés et un exemple pour le respect des droits de l’homme - un match auquel je me rendrai avec plaisir ” ce n’est pas pour qu’on m’expédie l’équipe en Chine. Il va y avoir du ménage à faire, à la FFF, j’en parlerai à Lamour dès demain.
Pour me venger du désintérêt ostensible de tout le monde, j’ai changé le programme de la soirée, et je me suis offert un diner avec les champions. Ca a fait fulminer toute la délégation, mais il faut parfois savoir montrer qui décide et qui commande. Et le lendemain, rebelote, au lieu de parler économie, j’ai trainé mes compagnons à une exposition sur le développement durable et j’ai forcé chacun à me faire un commentaire détaillé de la visite. Ca nous les a calmé, un peu comme une bonne douche froide remet du plomb dans la tête d’un ivrogne, et nous sommes tous partis voir le premier ministre Koizumi.
A n’en pas douter, il ne m’aime pas. La violence avec laquelle il a refusé d’abandonner le projet Iter au profit de Cadarache est sans équivoque. Quant à la levée d’embargo sur la Chine, il a failli me mordre. Du reste, il a été insupportable pendant tout le repas, me demandant ” comment se passait ma campagne sur le référendum ” et ” qui était ce Bokenelstein dont on parle tant “.
Et il riait.
Je le voyais bien, il faisait semblant de s’essuyer la bouche avec sa serviette. Il se moquait de moi. On va finir par le construire chez nous sans l’écouter, ce fameux réacteur nucléaire, et ça lui donnera une leçon d’humilité. Les insolents me font horreur, premiers ministres de mon pays favori ou pas.
Pour terminer, un petit mot pour Hosni Moubarak, avec qui j’ai déjeuné avant de partir. Monsieur le Président, vous avez oublié une serviette noire contenant plusieurs documents au pied de votre chaise, ainsi qu’un chapeau, un parapluie, une bague, une cravate et un soulier. Je ne sais pas très bien comment vous avez fait votre compte, mais sachez que tout ces objets vous seront restitués prochainement par valise diplomatique. Je vous prie également d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de mon plus profond respect.
Me voici rentré de Bruxelles, après un voyage éreintant à plus d’un titre. J’y ai à peine dormi, j’ai été ballonné pendant tous mes discours, je n’ai entendu parler que de Bolkenstein… Bolkenstein par-ci, Bolkenstein par-là, Bolkenstein le midi, Brokenstein le soir… Je ne supporte plus son nom, à ce monsieur Brenkostein…
Je me suis en plus retrouvé avec un conseiller municipal belge à moitié fou sur les talons, un Van Machin quelconque, qui m’a tenu la jambe pendant des heures en me reprochant, 20 fois par minute, de n’être pas venu à Davos quelques semaines auparavant. Puis comme je ne l’écoutais pas, il s’est oublié, et est devenu comme fou, me faisant alors un inventaire invraisemblable de supposés scandales. Une litanie de jérémiades minables ( entrecoupées d’injures à faire frémir un chrétien réfléchi ) du calibre de : ” Monsieur le Président de la République Française, vous rappellez-vous que le 13 juin 1987, alors que vous deviez appeller le Sécrétaire Général du Parti Socialiste Grec, vous avez manqué à ce devoir ? “. Il avait compilé dans d’épais dossiers une montagne de faits insignifiants, probablement inventés, et a cherché à tous me les ressortir un par un, en criant, s’agitant, s’étouffant d’indignation derrière mes gardes du corps, alors que je discutais de choses sérieuses avec de hauts dignitaires.
Quand je parlais avec un Ministre du Commerce de la possible tenue d’une réunion extraordinaire pour discuter de l’harmonisation du droit du travail et de la donc fameuse directive Brakelstein, il griffait mon garde du corps en hurlant, le visage cramoisi et les yeux exorbités : ” Monsieur Chirac doit me répondre sur l’Affaire des Skis Nautiques, rapportés en 1974 au magasin de location avec un retard de 25 minutes ! L’argent du Peuple ! Rendez l’argent du Peuple ! ”
Quand je m’entretenais avec une journaliste lituanienne sur les conditions d’exercice des métiers de la presse dans d’anciens pays soviétiques, lui, il tirait les cheveux de mon malheureux garde du corps, en pleurant, hoquetant, ivre de colère, cherchant à tout prix à me remettre une enveloppe contenant des “confessions accablantes” écrites de ma main en 85 et ” attestant de manière irréfutable ” que j’avais fait un clin d’oeil à une femme autre que la mienne, et réclamait le ” nettoyage de l’Honneur du Peuple “.
Et la bave aux lèvres, il massacrait les gens autour de lui, arguant que rien ne devait le détourner de sa mission messianique et son devoir de Justice. Pour un peu, il nous aurait parlé d’une apparition de la Vierge dans sa salle de bains.
Les journalistes aussi m’ont compliqué l’existence. Ils ont bien vu que j’étais fatigué et ils en ont profité pour me tendre quelques pièges bien vicieux, posant des rafales de questions tordues sur la directive Frankenstein - et ce dans plus de 12 langues - prenant mes réponses à contre-pied pour finalement faire de ce sommet un embrouillamini compliqué de contradictions, dont bien peu de gens ont du sortir éclairés… Je n’arrive moi-même plus très bien à savoir si cette directive Liechtenstein est bien liée à la Constitution, et si nous allons la réviser, si oui pourquoi, si non, pourquoi également ?
Bref, un sommet bruxellois désorganisé et épuisant. Je ne suis pas prêt de retourner là-bas.
Habituellement, pourtant, j’aime énormément la Belgique, et la perspective de m’y rendre provoque en général chez moi une excitation toute enfantine, et ce parfois une semaine à l’avance. Un pays chaleureux peuplé de gens sympathiques, et surtout, possédant les meilleures bières du monde.
Tenez, rien ne vaut une bonne bière belge - avec un steak - durant les chaudes journées d’été, assis que l’on est devant son bureau, l’âme en paix, le dossier de travail ouvert, et débordant d’énergie. Celui qui doit s’astreindre à une besogne pénible à tout intérêt à faire le plein de viande rouge et de houblon. Je ne connais pas meilleure remède pour soigner les crises de paresse et de démotivation. Une bière, un pavé de rumsteack, et le monde ne vous résiste plus. Toute conquête, toute aventure vous parait dérisoire de facilité, et vous vous sentez prêt à accomplir les plus grandes choses.
Du reste, voyez où j’en suis arrivé aujourd’hui.
Vendredi fut mon Poutine-Day. Je l’ai reçu vers midi, nous avons déjeuné, nous sommes allés visiter des avions et le centre de contrôle aérien à Taverny, et nous avons dîné avec José Luis Rodriguez Zapatero et Gerhard Schroeder à l’Elysée. J’aurais préféré manger à Taverny, pas à la cantine du centre de contrôle des opérations aériennes, mais au restaurant qui n’est pas très loin, que je connais bien, et qui a une salle spéciale pour les dîners d’affaires. On y travaille en mangeant du canard à l’orange et de la tarte aux myrtilles, le tout dans une ambiance très gaie, et la serveuse est très jolie, surtout quand elle met son petit tablier en dentelle. C’est Alain qui m’avait fait découvrir cet endroit. Où que vous l’emmeniez, il vous suggèrera toujours une auberge voisine où la merveille des merveilles repose dans votre assiette.
A Taverny, ils ont aussi un club de volley-ball où joue la nièce d’un de mes bons amis. Je ne connais pas bien les résultats du championnat régional, mais si le club a besoin d’un coup de pouce financier pour acquérir des infrastuctures, que leurs dirigeants n’hésitent pas à m’écrire, et je viendrai personnellement les rencontrer dans le bon restaurant d’à côté du centre de contrôle des opérations aériennes, et, devant un gigot de mouton avec de la salade et des frites, je suis sûr de pouvoir faire quelque chose pour eux. Avis à toutes les associations de tout poil du côté de Taverny, si quelqu’un peut m’emmener dans ce restaurant, je suis prêt à vous signer n’importe quelle subvention pour les projets les plus farfelus.
Si vous manquez de Maison des Jeunes à Taverny, si vous avez besoin d’une Salle des Fêtes, si le Club d’Echecs ou la médiathèque sont aménagés dans des salles trop vétustes ou trop petites, si la cloche de l’église nécéssite des réparations, téléphonez à l’Elysée, et nous irons tous ensemble dans ce sympathique restaurant.
Donc, nous avons terminé la journée à l’Elysée, et après une conférence de presse qui s’est déroulée dans une ambiance bon enfant, presque fôlatre, où nous nous sommes donnés du ” Merci Monsieur le Chancelier ” et du ” Je laisse la parole au Président “, puis nous sommes passés à table. Les choses se sont un peu tendues, les journalistes étant partis. Il faut savoir que Vladimir Poutine est exactement ce qu’il a l’air d’être. Quelqu’un de brillant, d’intelligent, de déterminé, mais d’effrayant et de glacial. Manger avec lui est un supplice. Il classe ses couverts par ordre de taille sur une même ligne, dissèque sa truite comme un biologiste, coupe sa viande comme on ferait une autopsie, regarde le sang se répandre de sa côte de boeuf, puis il l’éponge délicatement avec du pain qu’il pose méthodiquement sur le côté de son assiette… Et même sa manière de déguster de la mousse au chocolat a quelque chose de mécanique. Il prend une cuillerée de mousse, la regarde fixement comme pour se demander : ” si j’étais encerclé de trois assassin et que je n’avais que de la mousse au chocolat pour me défendre, comment m’y prendrais-je ? “, puis l’avale prestement, avec la rapidité d’un caméléon attrapant une mouche.
On n’entendait plus rien. L’ambiance était retombée, tout le monde le regardait, personne n’osait rien dire, et il ne remarquait rien. Il s’écoutait penser.
Voila un homme qui sait se faire respecter.
Le week-end a été paisible, entre la préparation du Conseil Européen à Bruxelles et quelques bricoles sur la campagne pour le Oui à la Constitution. J’en ai profité pour approfondir mes connaissances en internet. J’avais commencé par le blog, il était normal de passer à une autre étape. J’ai essayé de comprendre comment fonctionnait un moteur de recherche. Une bien mauvaise idée.
J’ai par exemple tapé ” France ” sur le site. En résultat, il y avait les portails de France Télécom ou Air France. Puis, j’ai tapé ” Chirac “. Il y a le lien vers le musée, mon blog, quelques articles et le site officiel de l’Elysée. J’ai aussi essayé avec ” Vive la France ” et là, il y avait beaucoup de liens vers des sites d’humour américain, parfois drôles, parfois violemment anti-français. De fil en aiguille, je suis même tombé sur un certain ” fuckfrance.com “. Ce site odieusement raciste et primaire est géré par une poignée d’illuminés qui ont acheté un site, l’entretiennent, vont dessus visiblement chaque jour, et attendent, frémissant d’impatience fiévreuse, chaque réponse à un sujet qu’ils ont lancé… Et paradoxalement, ils ne font que répéter que la France est un pays tellement insignifiant qu’en parler est une perte de temps.
Internet et ses mystères… La jeune génération est parfois bien complexe pour l’esprit logique et droit que j’imagine être le mien .
Dégoûté, j’ai fini par me dire que je ne me servirai plus de cet outil que pour consulter le blog d’Alain et relire vos commentaires. J’ai quand même tenté, désoeuvré, de taper ” kiwi “, mais ça n’a rien donné.
J’aurais du m’y attendre.
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