Me voici rentré de Bruxelles, après un voyage éreintant à plus d’un titre. J’y ai à peine dormi, j’ai été ballonné pendant tous mes discours, je n’ai entendu parler que de Bolkenstein… Bolkenstein par-ci, Bolkenstein par-là, Bolkenstein le midi, Brokenstein le soir… Je ne supporte plus son nom, à ce monsieur Brenkostein…
Je me suis en plus retrouvé avec un conseiller municipal belge à moitié fou sur les talons, un Van Machin quelconque, qui m’a tenu la jambe pendant des heures en me reprochant, 20 fois par minute, de n’être pas venu à Davos quelques semaines auparavant. Puis comme je ne l’écoutais pas, il s’est oublié, et est devenu comme fou, me faisant alors un inventaire invraisemblable de supposés scandales. Une litanie de jérémiades minables ( entrecoupées d’injures à faire frémir un chrétien réfléchi ) du calibre de : ” Monsieur le Président de la République Française, vous rappellez-vous que le 13 juin 1987, alors que vous deviez appeller le Sécrétaire Général du Parti Socialiste Grec, vous avez manqué à ce devoir ? “. Il avait compilé dans d’épais dossiers une montagne de faits insignifiants, probablement inventés, et a cherché à tous me les ressortir un par un, en criant, s’agitant, s’étouffant d’indignation derrière mes gardes du corps, alors que je discutais de choses sérieuses avec de hauts dignitaires.
Quand je parlais avec un Ministre du Commerce de la possible tenue d’une réunion extraordinaire pour discuter de l’harmonisation du droit du travail et de la donc fameuse directive Brakelstein, il griffait mon garde du corps en hurlant, le visage cramoisi et les yeux exorbités : ” Monsieur Chirac doit me répondre sur l’Affaire des Skis Nautiques, rapportés en 1974 au magasin de location avec un retard de 25 minutes ! L’argent du Peuple ! Rendez l’argent du Peuple ! ”
Quand je m’entretenais avec une journaliste lituanienne sur les conditions d’exercice des métiers de la presse dans d’anciens pays soviétiques, lui, il tirait les cheveux de mon malheureux garde du corps, en pleurant, hoquetant, ivre de colère, cherchant à tout prix à me remettre une enveloppe contenant des “confessions accablantes” écrites de ma main en 85 et ” attestant de manière irréfutable ” que j’avais fait un clin d’oeil à une femme autre que la mienne, et réclamait le ” nettoyage de l’Honneur du Peuple “.
Et la bave aux lèvres, il massacrait les gens autour de lui, arguant que rien ne devait le détourner de sa mission messianique et son devoir de Justice. Pour un peu, il nous aurait parlé d’une apparition de la Vierge dans sa salle de bains.
Les journalistes aussi m’ont compliqué l’existence. Ils ont bien vu que j’étais fatigué et ils en ont profité pour me tendre quelques pièges bien vicieux, posant des rafales de questions tordues sur la directive Frankenstein – et ce dans plus de 12 langues – prenant mes réponses à contre-pied pour finalement faire de ce sommet un embrouillamini compliqué de contradictions, dont bien peu de gens ont du sortir éclairés… Je n’arrive moi-même plus très bien à savoir si cette directive Liechtenstein est bien liée à la Constitution, et si nous allons la réviser, si oui pourquoi, si non, pourquoi également ?
Bref, un sommet bruxellois désorganisé et épuisant. Je ne suis pas prêt de retourner là-bas.
Habituellement, pourtant, j’aime énormément la Belgique, et la perspective de m’y rendre provoque en général chez moi une excitation toute enfantine, et ce parfois une semaine à l’avance. Un pays chaleureux peuplé de gens sympathiques, et surtout, possédant les meilleures bières du monde.
Tenez, rien ne vaut une bonne bière belge – avec un steak – durant les chaudes journées d’été, assis que l’on est devant son bureau, l’âme en paix, le dossier de travail ouvert, et débordant d’énergie. Celui qui doit s’astreindre à une besogne pénible à tout intérêt à faire le plein de viande rouge et de houblon. Je ne connais pas meilleure remède pour soigner les crises de paresse et de démotivation. Une bière, un pavé de rumsteack, et le monde ne vous résiste plus. Toute conquête, toute aventure vous parait dérisoire de facilité, et vous vous sentez prêt à accomplir les plus grandes choses.
Du reste, voyez où j’en suis arrivé aujourd’hui.