AINSI VA LA VIE…
Voyez-vous, je me sentais un peu mieux ces derniers temps, j’ai même passé une bonne journée hier entre la visite d’une exposition militaire, des remises de médailles, le goûter avec le Premier ministre thaïlandais et l’apéritif avec un Emir du Qatar dont je ne me souviens déjà plus très bien du nom, quelque chose come Hamad Chose Al-Thani, bref, dans l’ensemble, c’était à la fois distrayant et exotique. Cheikh Hamed Al-Thani est un peu bougon et il n’aime pas le porto, mais il s’est déridé quand on a évoqué le championnat de football qatari, où jouent Marcel Desailly et Franck Leboeuf, et, m’a-t-il expliqué, quelques autres grands joueurs européens qui dorent ainsi leur fin de carrière. Instructif.
Bref, la journée a été bonne. C’est en revenant à la maison que je me suis senti moins bien. Et pour cause. Voyez-vous, j’ai demandé, par curiosité et à titre documentaire, à me faire apporter quelques manuels scolaires. Oui, je réfléchis de plus en plus à remettre un peu d’ordre dans l’Education Nationale, il est intolérable de voir le taux d’illettrés qui franchissent le seuil du primaire. Tout ceci n’arriverait pas si l’on se décidait à dépoussiérer quelques méthodes qui ont fait leurs preuves, comme B+A=BA, qui n’a tuée personne et qui donnait des résultats bien meilleurs que l’ânerie “intuitive” dispensée aujourd’hui. Croyez-moi, je ne demande pas mieux que d’y revenir, mais contrairement à ce que ma fonction laisse supposer, je n’ai pas tous les pouvoirs. Mais passons. J’ai donc reçu dans un paquet, enveloppés de papier marron, quelques livres du programme de CM2.
Les livres de mathématiques sont bien moins austères qu’autrefois. Il en va d’ailleurs ainsi pour la plupart des manuels. Ils sont illustrés, plus aérés, plus souples. Leur aspect est plus étudié. Bien sûr, un élève reste un élève, et je ne suis pas naïf au point de croire qu’ils ont plus de plaisir à faire leurs devoirs aujourd’hui qu’ils n’en avaient en 1948, mais la chose doit leur paraître un peu moins effrayante.
Donc, je suis allé me chercher un kiwi, une pomme, un verre d’eau, me suis mis à ma table de travail, et j’ai épluché consciencieusement un manuel de géographie, puis un manuel de sciences naturelles, puis ma pomme, puis un manuel d’anglais. Tout se passait très bien, je prenais des notes, j’avançais progressivement. J’ai coupé mon kiwi en deux, bu un verre d’eau, et ouvert un livre d’histoire. Et là, je me suis arrêté net : il y avait ma photo dedans. Je n’ai jamais pu finir mon kiwi.
Vous souriez peut-être, en vous demandant ce que cette photo avait de si horrible, et en pensant qu’il est bien normal qu’un président élu il y a une dizaine d’années figure dans un manuel d’histoire d’aujourd’hui. Evidemment. Il n’empêche que de se voir dans un manuel d’histoire alors que l’on n’est pas encore mort fiche un sérieux coup de vieux. Réalisez-vous que je me retrouve, d’un seul coup, aux yeux des enfants ( et maintenant aux miens ), sur le même plan que Jeanne d’Arc, Clovis ou Napoléon ? Je suis déjà relégué au rang des souvenirs, je n’existe déjà plus autrement que pour mes actes passés. Je serai en terre depuis déjà deux ou trois ans, des asticots dans le nez et les os des doigts blanchis que personne n’y verrait de différence. Je ne suis plus qu’un nom dans un manuel de CM2. Ca fiche la trouille.
Ce matin, j’ai donc dit “salut ma meuf” à Bernadette, histoire de tenter une pirouette humoristique à base de jeunisme forcené qui me remonterait un peu le moral, mais le coeur n’y était pas. Du reste, elle n’a rien compris, il a fallu lui expliquer le principe du verlan, et ça a été très long, pour de bien piètres résultats.
Je mets du temps à encaisser la chose, mais il faut bien l’admettre, je suis en fin de carrière.
Peut-être devrais-je m’exiler au Qatar…