LASSITUDE
Désoeuvré, c’est le mot.
C’est Borloo qui l’a trouvé. Il m’a téléphoné il y a deux jours en me disant : ” Eh bien, Monsieur le Président, vous n’avez pas l’air tellement frais, ces derniers jours, vous devriez aller au cinéma et arrêter de penser au référendum “.
Il a raison. Je suis absolument écoeuré par le référendum, la constitution, le non, le oui. Malgré les louables efforts de François Bayrou, d’Alain ou de François Hollande. Hollande se montre très sympathique. Il m’appelle jusqu’à sept fois par jour pour m’encourager, son record est même pour l’instant de treize coups de fil en une après-midi. De longs coups de fil passionnés, pendant lesquels il me parle comme un pompier héroïque dans un film catastrophe. Vous savez, le ton de l’homme courageux et responsable, qui refuse de voir s’installer l’abattement chez ses voisins et qui leur dit : ” Allez, Bill, tu vas t’en sortir, il faut croire en toi ! Parfois, l’espoir, c’est tout ce qu’il nous reste ! “, alors que la victime a perdu une jambe, est épuisée, et a un bras coincé sous les débris du toit de l’immeuble en flamme. Et la victime s’en sort quand même.
C’est exactement ce que je ressens. La France représente l’immeuble en feu, avec, dans le rôles des flammes, les partisans du non et les jeunes. Alain, c’est la jambe qu’il me manque.
Olivier Altmann est bien gentil aussi, il passe son temps à m’écrire pour mettre au point la campagne de communication que nous lui avons confiée la semaine dernière. Quelques esquisses me sont parvenues, toutes fort peu convaincantes, en dehors de celle de vendredi, accompagnée de la lettre suivante :
” Monsieur le Président,
Les travaux avancent pour la campagne. Nous avons pu remarquer, après sondage, que votre blog remporte un succès très large auprès de 87% de la population française. Nous vous proposons d’exploiter cette vague de sympathie en récupérant une référence de votre blog, à savoir le kiwi, fruit que vous avez immensément popularisé, et de le reprendre pour votre campagne, sur votre journal et sur ceux qui désirent en parler.
Nous vous avons donc confectionné cette bannière web.Vous comprendrez bien évidemment l’astuce sémantique et visuelle. Cette initiative rigolote recouvre de plus un vrai discours de fond, puisque le kiwi, vous l’avez souligné, est un fruit symbolisant l’énergie et le dynamisme, ce qui manque, nous le pensons, à votre campagne.
Cordialement,
Olivier Altmann, directeur de création, Publicis Conseil. “
Bien évidemment, j’ai immédiatement ordonné que soient abandonnés tous les travaux actuels de l’agence sur les autres points de la campagne pour décliner cette merveilleuse idée sur tous supports. Des t-shirts seront confectionnés, et les fêtes seront placées sous ce signe des tropiques. Un peu d’exotisme et de chaleur dans cette période maussade seront les bienvenus.
D’autre part, une station de radio s’est proposée pour diffuser une émission sur le référendum, moyennant finance, en m’envoyant le courrier suivant :
” Monsieur le Président,
La campagne pour le référendum bat son plein, et nous avons appris que vous aviez débloqué 4 millions pour l’amplifier et lui donner un caractère plus dynamique et plus jovial. C’est pourquoi nous vous proposons, en échange d’une partie de cette somme, de promouvoir votre position. En effet, notre radio s’appelle Oui FM, et ce qui n’est qu’une amusante coïncidence pourrait vite tourner à votre avantage, si nous diffusions quelques jingles orientés et si vous acceptiez de venir à notre Big Chirac Référendum Rock Show, animé par Gilles Verlant, que nous pourrions enregistrer en public à l’Elysée d’ici une quinzaine de jours.
Cordialement,
Michael Gentile, directeur général, Oui FM “
Un peu échaudé par le débat télévisé, et surtout par les jeunes, j’hésite encore un peu, mais Claude semble emballée et bénie cette proposition tombée du ciel. Je ne sais pas. Je ne le sens pas très bien. Je ne veux plus parler de cette campagne.
Quoiqu’il en soit, j’ai écouté conseil de Borloo, et j’ai emmené Omar Bongo, le Président gabonais qui est venu jeudi, voir un film dans un des cinémas de l’Elysée. Nous avons assisté à la projection d’un long métrage inepte, Brice de Nice. Je n’étais pas au courant. Je m’apprêtais à m’excuser, mais comme Bongo était hilare, je n’ai rien dit, et je l’ai entendu rire pendant une heure et demie. Voir une comédie qui ne nous fait pas rire avec un hystérique qui lui la trouve très drôle est un des multiples supplices quotidiens dont on ne parle pas assez. On s’ennuie, on aimerait partir, mais non seulement l’autre ne veut pas quitter la salle, mais en plus il vous fait sentir idiot. Immanquablement, vous finissez par vous demander si vous comprenez bien tout ce qui se passe à l’écran. Il vous semble que vous saisissez le ” pourquoi ” du mécanisme du gag, et que vous admettez son caractère humoristique, mais rien à faire, le rire ne vient pas. Même en vous forçant.
Situation aggravante, Omar Bongo rit très fort et très bruyamment, communiquant son hilarité aux personnes présentes autour de lui. Et je suis parfaitement insensible à ce genre de réaction. Bref, la salle, au final, était secouée de spasmes et se tenait les côtes, et moi, je restais droit comme un piquet, affligé. Bongo s’est retourné vers moi lors d’un passage qui lui semblait particulièrement loufoque, et devant ma mine atterrée, a redoublé d’hilarité en me montrant du doigt. Pesant et énervant. J’ai fini par me plonger en douce dans la contemplation d’une enveloppe de photos que la jolie Rosalina m’a envoyée suite à mon billet d’il y a deux semaines.
J’ai enfin souri.