CONCLUSION
Vous vous en doutiez peut-être un peu, mais je n’ai pas eu une minute à moi depuis quelques jours. Les déplacements, les ennuis de santé du Premier Ministre, les efforts de campagne à faire depuis l’échec total de Publicis, et la grogne due au lundi de Pentecôte ont mis à mal mon emploi du temps. L’envie de réécrire n’est revenue que lorsque le Président de Djibouti est venu en viste. Il m’a tellement cassé les pieds que, de rage, j’avais fini par reprendre la plume pour me calmer, mais en relisant le billet, je me suis rendu compte que c’était une véritable déclaration de guerre envers Djibouti.
Ce n’est pas que j’ai tellement peur de Djibouti en tant que tel. C’est tout petit et plein de mal nourris. Leur armée n’a rien d’effrayant, que ce soit par le nombre ou par la force des combattants. Et ils n’ont que 7 chars tout cassés et tout minables. Je ne prétends pas que l’armée française soit la plus impressionnante de la planète, mais contre Djibouti, je pense qu’on a nos chances. Bref, ce n’était pas par crainte de ne pouvoir gagner une éventuelle bataille face à cette formation ridicule.
Non, c’était tout bêtement par politesse. Même si leur président est énervant, je tiens à manifester toute mon amitié et toute ma sympathie au fier et honorable peuple de Djibouti.
Je suis aussi allé à Moscou. C’est une bien jolie ville, où il fait très froid. Vladimir Poutine a accueilli personnellement la délégation française et en passant devant moi, il a fait semblant de me donner un coup de poing en disant : ” Je ferai un effort à table, ah ah ah, vous être trop chochotte “. Il a effectivement été plus détendu au déjeuner que la dernière fois, mais rétrospectivement, c’était peut-être pire, puisqu’il poussait de grands cris de kamikazes en découpant sa viande, les yeux injectés de sang. Je n’ai rien pu avaler.
Ensuite nous sommes allés fleurir des tas de tombes un peu partout, en chantant des choses en russe et en restant bien droits. Puis je suis allé m’expliquer avec Hu Jintao au sujet de ses textiles, mais il m’a offert une veste d’intérieur en soie avec un dragon brodé en fils d’or, très fin, alors, par politesse, je n’ai pas pu dire grand chose.
Le moment le plus préoccupant de la semaine aura été l’hospitalisation de Jean-Pierre Raffarin. Peut-être n’êtes vous pas au courant, mais votre Premier Ministre a été hospitalisé cette semaine de la vésicule biliaire, laissant tout son entourage mort d’inquiétude. Heureusement, l’opération s’est bien passée, et sa convalescence fut pour lui l’occasion de reprendre du poil de la bête. Je suis allé lui rendre visite plusieurs fois par jour. Je lui ai apporté des fleurs, des chocolats, des kiwis pour lui faire une farce, un livre et un jeu de l’oie. Mon épouse lui a offert un rubik’s cube, vous savez, ce casse-tête énervant que de jeunes mathématiciens résolvent en une minute trente à la télévision quand vous êtes dessus depuis cinq mois. Et Nicolas Sarkozy lui a apporté une console de jeux électroniques portable, avec quelques cartouches, dont une très marrante où il faut empiler des briques qui tombent du ciel, et une autre où il faut être maire d’une ville. Avec ça, il ne va plus travailler. Si le non l’emporte, il faudra que je lui confisque.
Quelques autres sont venus avec des présents. Dominique Perben lui a offert un de ces livres de bibliothèque qu’on ne lit jamais, je crois que c’était ” Matisse, la passion fauve “. A la tête que Jean-Pierre a fait en ouvrant le paquet laissait entendre qu’il n’était pas spécialement porté sur la peinture. Il a été beaucoup plus enthousiaste devant de disque de Johnny Hallyday et celui de Lorie que lui ont donné Philippe Douste-Blazy et Michel Drucker. Olivier Besancenot lui a envoyé une carte à musique ” Meilleurs Voeux de rétablissement ” sur laquelle nous sommes tous restés perplexes, ( et aujourd’hui, je m’interroge d’ailleurs encore sur le sens de ce geste ), et Dominique Ambiel lui a offert un livre sur les promenades à faire dans les bois et forêts d’Ile-de-France. Thierry Breton lui a fait livrer des maquettes de vaisseaux spatiaux, et Jean-Louis Borloo, des Légos pompiers. Enfin, Laurent Fabius est passé le voir pour lui expliquer que sa campagne contre le Oui n’avait rien de personnel, mais qu’il fallait bien qu’il pense à son avenir, qu’il était désolé, qu’il ne pensait pas que ça lui détraquerait la santé, que si il avait su, il aurait été plus discret…
Fabius m’a l’air mal en point. François Hollande, convoqué l’autre jour, m’a expliqué qu’il s’excusait auprès de tout le monde, même auprès de ses propres partisans, toujours en expliquant qu’il faut bien qu’il pense à son avenir, que ça ne l’amuse pas de manger des saucisses avec José Bové ou de supporter Mélenchon, mais qu’il est bien obligé s’il veut un poste important et nourrir décemment sa famille dans les années futures… Puis il éclate en sanglots et reste prostré pendant des heures. ” Je n’ai rarement vu quelqu’un aller autant contre sa nature ” m’a confié Hollande ” il est toujours au bord des larmes, il en est déprimant. A mon avis, c’est le prochain à qui il va falloir offrir des cadeaux à l’hôpital. ”
Si quelqu’un a des idées…
” Monsieur le Président
Le Oui remonte, vous l’avez constaté, nos efforts ne sont donc pas vains. Dans l’espoir de voir se poursuivre cette tendance positive, nous vous proposons l’affiche suivante.
Nous comptons, à travers ce visuel, diffuser un discours optimiste et enthousiaste sur le Oui, en utilisant des codes facilement compréhensibles par la jeunesse. La posture désinvolte qui est la votre inspire la confiance et la sympathie, et nous pensons que les 18-35 ans seront très sensibles à cette marque de décontraction.
Notez que cette affiche est déclinable : Nous vous la suggérons pour l’Opération Pièces Jaunes, par exemple, ou pour annoncer des manifestations franco-japonaises.
Veuillez accepter, Monsieur le Président, nos plus respectueuses salutations,
Olivier Altmann, directeur de création, Publicis Conseil ”
” Monsieur
La campagne que nous vous avions confiée est annulée. Vous serez également aimable de vous présenter à mon bureau lundi matin à 9h précises.
Jacques CHIRAC, Président de la République Française. “
J’ai perdu une feuille de note. C’est emmerdant.
J’ai une intervention télévisée dans quelques heures, et j’ai perdu une feuille de note. Je ne suis pourtant pas quelqu’un de désordonné, mais quand j’égare quelque chose, je l’égare bien, et il est impossible de remettre la main dessus. Et la moindre contrariété, le moindre grain de sable dans les rouages de ma minutie et de ma méticulosité me met vite les nerfs en pelote. Si je ne remets pas la main sur cet aide-mémoire, ce soir, ce sera du joli.
J’ai commencé par examiner un à un les papiers de la corbeille : il y avait là pêle-mêle un emballage de barre chocolatée, deux lettres de supplications de chômeurs en fin de droit, une pelure de pomme, une circulaire informative, un post-it de mon épouse me demandant de lui téléphoner dans l’après-midi, un dossier sur Cadarache que j’avais fini d’étudier, et une carte de vœux de Nicolas Sarkozy me félicitant pour mes 10 ans de présence à l’Elysée. Carte du meilleur goût représentant un petit chien disant « au revoir » avec la papatte lorsque l’on actionne une languette en papier.
Mais pas ma feuille de note.
Dans les tiroirs de mon bureau, rien de particulièrement digne d’intérêt entre le faire-part de décès du Prince Rainier, une balle confisquée à mon petit-fils lors d’une de ses visites et des lettres parfumées de vieilles dames me proposant de divorcer.
Et dans les classeurs, rien que des papiers bien rangés, bien classés, par ordre alphabétique, sauf dans un dossier sur les indépendantistes alsaciens qui trainait là je ne sais pourquoi, vu qu’on ne s’en occupe plus depuis longtemps. J’ai du vouloir relire des faits divers insolites, sans doute. Et naturellement, toujours pas la plus petite feuille de note.
J’espère ne pas me tromper ce soir dans des chiffres ou sur des intitulés d’articles. Le direct est un exercice difficile, ces derniers temps. On devrait pourvoir enregistrer ces émissions. J’ai appris que Dominique Strauss-Kahn, qui n’en finit plus d’explorer les nouvelles technologies, avait quant à lui été malin et avait sorti un DVD. Au moins, il ne risque pas de se tromper.
Je l’ai regardé, c’est fort joli. Il se promène d’un pas calculé dans un beau décor en image de synthèse, regarde différentes caméras d’un air concerné, et des effets spéciaux amusants, quoique manquant un poil de sobriété, viennent enrichir un format un peu triste. On dirait Jean-Claude Brialy ou Robert de Niro.
Je regrette de ne pas avoir eu l’idée du DVD. Normalement, c’est à moi qu’aurait du revenir le privilège d’avoir un monologue bien écrit, sur fond d’hymne européen. C’est moi qui aurait du dire ” mes chers compatriotes ” entouré des drapeaux de la France et de l’Union. Au lieu de quoi, me voici avec une bannière web évoquant un restaurant mexicain, deux badges de contestataires de 68 et une campagne publicitaire qui prend l’eau. Et quand Strauss-Kahn peut, lui, grâce à des conseillers en communication compétents, s’adresser sans risque à l’ensemble des français, ma propre fille me poignarde dans le dos en me catapultant entre Marc-Olivier Fogiel, Jean-Luc Delarue et 83 jeunes crétins, bêtes au point de se demander si le tri sélectif sera annulé si il ne figure pas dans le Traité Constitutionnel.
Je signale à toute fin utile que si la Constitution ne mentionne pas que respirer est indispensable, ce n’est pas une raison pour s’arrêter. Ou pour continuer à le faire en clamant que l’on est un marxiste révolutionnaire, effectuant courageusement une Grève de la Mort pour lutter contre l’oppression.
Ne le nions pas : j’ai eu en voyant ce DVD un sérieux coup de vieux teinté d’une pointe de jalousie. Néanmoins, la bataille pour ce Traité vaut bien que l’on enterre la hache de guerre quelques temps. J’ai donc convoqué DSK hier à l’Elysée pour lui proposer d’oublier les divergences et les fâcheries, et de sceller une alliance forte, qui permettra au Oui de prouver qu’il dépasse les clivages partisans. Et, puisque nous sommes tout deux férus de technologie et que nous avons compris la beauté d’internet, nous avons décidé, symboliquement, de lier, de “linker” nos blogs. Désormais, mon blog conduira au sien et le sien conduira au mien, bien qu’il aie refusé - insolemment, je trouve - de placer ma bannière au kiwis sur son site.
Qu’importe. La victoire vaut bien quelques petits sacrifices. Et que cette initiative serve de leçon aux personnes qui jouent le jeu dangereux de l’isolement politique.
Pour conclure sur un registre plus sympathique, dimanche aura été une magnifique journée. Des représentants des marchés de Rungis sont venus à l’Elysée, personnellement, dans leurs camions, et m’ont exposé les différents produits du terroir vedettes de 2005. Le muguet était évidemment à l’honneur, j’en ai reçu de pleins bouquets, vu que tous les marchands sont venus m’agiter leurs clochettes sous le nez, et me suis découvert une allergie au muguet que je ne me connaissais pas. Egalement bien côté dimanche, le kiwi, naturellement, dont j’ai reçu pas moins de 17 corbeilles de cultivateurs inspirés que je remercie pour cet original cadeau. En bonne position encore, les pommes, le poivron ( excellent légume… fruit… ou légume… ), la tomate cerise, la violette, le piment et le haricot vert, produits dont j’ai eu le privilège de goûter un exemplaire de chaque. Je peux vous affirmer que les piments sont particulièrement réussis cette année. Ma pauvre épouse pourra vous le confirmer.
Petit bémol, le brin de muguet du Président de la Semmaris. J’ai conclu mon discours en le félicitant de son superbe brin de muguet, mais, au risque de maintenant le peiner, il faut avouer qu’il n’était pas terrible, son muguet, il était même franchement minable. Sur toutes les personnes présentes, il avait le muguet qui se défendait le moins bien. Clochettes minuscules, feuilles rabrougries et tige chiffonnée, à mon avis, il avait du s’asseoir dessus sans faire attention, parce que c’est de loin le brin de muguet le plus vilain qu’il m’aie été donné de contempler.
Je n’ai toujours pas ma feuille de notes.
Et il faut que je parte.
Pourvu que je ne me trompe pas…
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