Il y avait Conseil des Ministres, aujourd’hui. D’ordinaire c’est déplaisant : la nervosité ambiante et l’irrascibilité de chacun sont très lourdes à supporter. Ministre est une tâche compliquée, bien plus que celle de Président. Il faut avoir des nerfs solides, un bon sens de la communication, un besoin de sommeil réduit, un amour du travail… C’est exaltant quand on est jeune et fringuant, mais lorsque des hommes ou des femmes ayant dépassés la cinquantaine sont chargés à ce point, ils ressortent en général des ministères courbés en deux, des cernes sous les yeux, et sont secoués de tremblements et de spasmes pendant quelques semaines.
Mais aujourd’hui, j’avais décidé de me montrer particulièrement attentif à chacun et chacune. J’ai examiné leurs comportements plus que leurs dossiers de travail, pour bien comprendre à quel genres d’homme ou de femme j’avais humainement à faire. L’affaire Gaymard m’a particulièrement rendu méfiant à cet égard. Comment un jeune homme qui semblait si brillant a-t-il pu se montrer si bête ? Passe encore pour l’appartement, mais la défense façon Cosette misérable, cordonnier sans le sou, et victime d’une société élitiste, c’était invraisemblable. J’ai mis la main sur certaines de ses lettres, lorsqu’il demandait à Raffarin quelle stratégie adopter. Croyez-le ou non, il avait prévu de raconter qu’il avait été victime d’un curé pédophile lors d’une sortie scoute. Heureusement, on a pu l’arrêter à temps.
Bref, pendant tout le conseil, je me suis demandé si j’avais affaire à un parterre de personnes brillantes ou à une bande d’idiots. J’ai fini par décrocher de toutes les conversations qui se tenaient, obsédé que j’étais par cette question. J’étais plongé dans mes pensées, et même les vociférations de Copé, qui d’habitude me tapent sur les nerfs ( il parle très fort, quand il s’énerve, et il a une voix totalement pénible ) ne réussissaient pas à me défaire de mes réflexions. Finalement, je me suis résolu à leur demander, en plein pendant une tirade de Breton qui n’en finit plus de crâner depuis qu’il a un beau fauteuil tout neuf, à tous se taire, et à sortir une feuille de papier et un crayon.
Le meilleur moyen de voir quel individu on a en face de soi est d’interroger son subconscient. J’ai donc demandé à tous mes ministres de dessiner quelque chose, n’importe quoi, ce qu’ils voulaient. Perben a ricané et a demandé si nous n’avions pas des choses un peu plus sérieuses à faire, je l’ai engueulé froidement ( si il y a une chose que je ne supporte pas, ce sont les fortes têtes ), et il l’a bouclée. Il a sorti son stylo et il a fait ce qu’on lui demandait. Et tous se sont alors mis à dessiner.
Artistiquement, les résultats ne valaient pas grand chose, à part pour Borloo et Perben, justement, qui m’a dessiné un très joli bâteau, dans un style très ” Fêtes des Mères “, assez enfantin, mais pas laid. Quand je lui ai demandé pourquoi un bâteau, il a ouvert la bouche, il n’a rien dit, puis il a écarté les mains en disant : ” eh bien, je viens d’acheter un bâteau “.
Copé a dessiné un cow-boy qui tirait sur des gens. Je trouve qu’effectivement ça lui va assez bien. Michèle Alliot-Marie a dessiné un verre d’eau, parce qu’elle n’avait que ça en face d’elle. Barnier a dessiné Didier Julia, et il a raturé son visage. J’ai été un peu déçu parce que j’attendais quelque chose venu d’un peu plus loin dans le subconscient, mais ça m’a conforté dans l’idée qu’il va falloir que je fasse quelque chose au sujet de ce type. Nicole Guedj a dessiné un fauteuil roulant, mais je commençais bien à voir qu’elle perdait un peu sa joie de vivre. Raffarin a fait un micro, j’en ai déduis que soit la chanson lui manquait, soit qu’il aimait bien les discours. De Robien a dessiné un homme que je n’ai pas reconnu pour l’instant, mais le connaissant, il doit s’agir de Bayrou. De Robien aime beaucoup son statut de loup solitaire UDF au sein d’un gouvernement UMP. Il ne perd jamais l’occasion de se marginaliser. Fillon a fait une grande croix sur sa feuille et il a marqué ” soyons sérieux “. Devedjian a dessiné un skinhead, j’ai mis un temps à comprendre, je crois qu’en fait sa jeunesse lui manque, il doit nous faire la crise de la cinquantaine. Borloo m’a surpris, donc. Il a dessiné une femme. Assez jolie, au demeurant. Douste-Blazy a dessiné un type casqué avec marqué ” Giancarlo Fisichella “. Lamour a fait un footballeur, de Villepin, un aigle et Jacob, un boxeur. Nicole Ameline et Brigitte Girardin ont essayé de se représenter mutuellement. C’était raté.
J’ai aussi eu quelques feuilles blanches. Donnedieu de Vabres a bien essayé de me faire gober qu’il l’avait fait exprès, en blaguant, mais il était visible qu’il me prenait pour un crétin. Il n’a du reste pas insisté. Finalement, le seul à m’avoir piégé a été Breton. Il a dessiné un ordinateur avec une mitre et il a marqué ” Bonne lecture “. Par la suite, il m’a confié être effectivement tombé sur mon blog, et envisage d’en faire un lui-même, je lui passerai le mail des gens qui se chargent du mien.
La journée s’est poursuivie par un entretient avec Hugo Chavez, le président vénézuélien. Je n’aime pas du tout ce type. Il a un sens de l’humour très particulier, il m’a raconté qu’à la Fête des Innocents, il avait fait croire à son peuple qui réclamait sa démission qu’il cédait à cette revendication. La Fête des Innocents est l’équivalent local du 1er avril. C’est d’un goût… Et lui s’étouffait de rire en me racontant ça.
A part ça, le principal sujet de la conversation a été le pétrole. J’ai bon espoir d’avoir obtenu des promesses commerciales intéressantes. Enfin, pour finir, il m’a invité en vacances en me disant que la saison était propice à la baignade, et que les plages vénézuéliennes valaient vraiment le coup d’oeil. Il a appuyé cette dernière phrase d’un clin d’oeil lourd de significations lubriques. J’ai demandé à ce qu’on le raccompagne plus tôt que prévu. Il n’est pas prêt de revenir, et je ne souhaite plus jamais l’avoir en face de moi.
Je n’ai rien de spécial à faire demain, peut-être que je pourrais en profiter pour descendre en Corrèze, ou à Bordeaux pour voir Alain. Il faut que j’en parle à Bernadette…