FOLLE JEUNESSE

FOLLE JEUNESSE

Demain, Conseil des Ministres. A ce sujet, j’ai eu un entretien avec Renaud Donnedieu de Vabres, aujourd’hui, ( ainsi qu’avec le directeur de la Bibliothèque Nationale de France, nous parlions justement de nouvelles technologies ). Donnedieu avait apporté avec lui un carnet de croquis qu’il avait réalisé, et il comptait m’en mettre plein la vue. ” Vous verrez que le coup de la feuille blanche de l’autre jour, c’était bien de l’art abstrait. ” Ce qu’il y a de bien, chez lui, c’est qu’il ne se démonte jamais, il a beau savoir que son interlocuteur sait qu’il ment, il insistera encore et toujours, obstinément, jusqu’à ce que l’autre cède enfin, lassé ou convaincu. Il aurait fait un excellent chef de secte.

Par contre, ses talents artistiques sont contestables, ne serait-ce que dans le choix de ses sujets : il y avait ainsi dans son carnet une pléiade de pots et de bouteilles, une femme posant nue, une pipe en terre, des ronds enchevêtrés évoquant selon lui les ondes d’une multitude de gravier que l’on jette dans l’eau, des pots de yaourts au pastel sec, une pomme faite avec un fusain et une coupelle de kiwis peinte à l’aquarelle sur une feuille toute gondolante, dans laquelle j’ai vu une enième tentative de fayotage. Il avait gribouillé un peu partout, en ” composition d’une mise en scène typographique ” des slogans pour le Oui au référendum sur la Constitution. Je lui ai rendu son carnet en lui demandant de mettre la sourdine sur la Constitution, vu que j’avais passé la soirée d’hier le nez dedans et qu’elle me sort consécutivement par les oreilles. Il pensait me faire plaisir, j’imagine, mais c’est vraiment tombé au mauvais moment.

Je tiens à manifester ma naturelle surprise suite au message d’hier sur la Constitution. Certains se sont étonné de trouver en ces lieux une manifestation politique. Je sais bien qu’en premier lieu, le but de mon blog est de permettre un dialogue convivial entre le Président et les Français, mais je suis encore le Chef de l’Etat, ce qui m’impose des devoirs que je compte respecter. Vous m’avez montré votre confiance en m’élisant, et je tâche de m’en montrer digne.
Mes administrateurs m’ont également envoyé un lien vers le blog de Nicolas Sarkozy. Qu’il soit effectivement écrit par Nicolas Sarkozy importe peu. J’en doute, étant donné le ton d’idolâtrie qui y est employé, mais après tout, Sarkozy parle parfois de lui-même à la troisième personne, alors, sait-on jamais. Bref, le fait qu’il ait lui aussi un blog m’a un peu gâché ma journée.
Je m’en suis donc ouvert à Jean-Louis Borloo qui m’a répondu : ” Eh bien, si ça vous énerve, trouvez un hacker, et faites-le tourner un peu en bourrique “. Je ne lui ai pas dit que je ne savais pas avec une totale exactitude ce qu’était un hacker, mais vu le sourire qu’il m’a fait, j’imagine qu’il s’agit bien d’un de ces types qui ont les moyens de changer des virgules à son insu ou de dessiner des moustaches sur ses photos. L’idée m’a en tout cas beaucoup amusé. Ce serait un juste retour des choses ( il avait essayé, du temps de son action au Ministère de l’Intérieur, d’imposer le port de la moustache aux gendarmes et policiers ).

Et ça m’a rappellé aussi certains soirs, certaines nuits de fête, dans ma jeunesse, où nous allions gribouiller sur des affiches avec mes amis. Nous dessinions des barbes, des pipes, des lunettes aux politiciens qui y étaient représentés. Nous marquions notre colère avec virulence : ” Non ! ” ou ” Halte ! “.
Nous étions fous et jeunes. Toute une bande galopins et de drilles. Il y avait Simon, qui nous conduisait en voiture sur les lieux de notre forfait. Marcel, qui volait des craies de couleurs dans le lycée où il était surveillant. Joseph, un gros moustachu ( décidément ) bonhomme et rigolard, doté d’un appétit gargantuesque. De surcroit, il ne se séparait jamais d’une bonne bouteille de vin, et nous trinquions joyeusement en parlant politique et en griffonant des slogans. Edouard était le philosophe de la bande, il était très cultivé et récitait des poèmes au coin du feu. Robert et son frère Timothée ramenaient toujours de jolies filles, et Jérôme les sifflait toujours en essayant de soulever leur jupons. André qui fumait la pipe et imitait Charlie Chaplin comme personne. Et Georges, qui était anglais, et qui éclairait notre lanterne en nous parlant de la politique de son pays d’une manière si fine, si talentueuse… Cet homme était d’une rare intelligence et plus d’une fois son avis lumineux sur une question m’a servi autant que ne le firent les ouvrages des plus grands.
Je regrette cette période.

Simon a ouvert une entreprise de textiles, puis il s’est retiré.
Marcel est retraité et joue au bridge dans le Nevada, avec d’autres expatriés.
Jospeh rit toujours beaucoup, mais dans sa barbe.
Edouard est devenu tout maigre et ensuite il est mort.
Robert a ouvert un magasin d’articles de pêche.
Timothée est mort l’an dernier en avalant un croissant de travers.
André est toujours un de mes bons amis. Il habite près de Messac. Son talent d’imitateur a mal vieilli. Il essaye d’imiter Yves Lecoq qui imiterait Laurent Gerra m’imitant, par exemple. Résultat, on dirait Patrick Sébastien imitant Jean Roucas.
Jérôme est devenu moine.
Georges est devenu un vieux con.

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