Quel week-end, mes enfants quel week-end. Si je n’avais pas eu une bonne petite remise de médailles ce matin pour me remettre, et me persuader que la fonction présidentielle avait quand même quelques avantages, j’aurais caressé l’idée de démission.
Mais les remises de médailles suffisent en général à me consoler des plus abominables maux. J’adore plus que tout entendre résonner, au son des trompettes et des clairons, la Marseillaise, quand j’appose sur la veste d’un militaire ou d’un savant une décoration prestigieuse. A tel point que j’en arrive à décorer n’importe qui pour le simple plaisir de le voir frétiller d’excitation à l’idée de recevoir sa distinction des mains du plus haut dignitaire du pays : Moi.
Un capitaine s’est distingué en Côte d’Ivoire ? Je le décore.
Un chef d’entreprise fait tourner correctement sa société ? Je le décore.
Michel Sardou vend des milliers d’albums ? Paf ! Décoré.
Croyez-en mon expérience, devant le spectacle d’un général, paré de ses plus beaux atours, digne et pénétré, se dandinant d’un coup d’un pied sur l’autre en osant pas vous regarder tellement il est impressionné, on boit du petit lait. D’autant que la nature fait bien les choses, je décore systématiquement des gens plus petits que moi.
L’ennui, c’est qu’évidemment tout le monde le voit, je me suis fait taper sur les doigts après avoir accroché la Légion d’Honneur à la veste de Jean-Pierre Foucault, par exemple. Un autre inconvénient, c’est qu’on finit par n’avoir plus grand monde à décorer. Il ne reste plus que des gens du calibre de Bertrand Renard, Evelyne Dhéliat ou Marius Colucci, ce qui fait quand même léger.
De toute façon, il va falloir y venir, je le sens bien, je ne tiendrai jamais deux ans sans décorer personne. C’est plus fort que moi.
Je suis décoromane.
Il faut au moins ça pour se consoler d’une promenade au marché de Messac. Messac est une jolie et pittoresque bourgade de Corrèze, où j’aime à venir me détendre de temps en temps. J’ai quelques amis qui habitent dans le coin, et parfois, avec Bernadette, nous allons les visiter. Ce dimanche, nous avions prévu de déjeuner chez eux. Il était entendu que j’apporterais un gâteau pour le dessert. Et plutôt que d’aller le chercher dans une pâtisserie, j’ai décidé de prendre un bain de foule au marché. On n’en fait jamais trop pour entretenir sa popularité, surtout que les derniers chiffres des instituts ne sont pas terribles, mais je pense que c’est la faute de Raffarin et des manifestations.
Me voici donc au marché. Et voilà : depuis une semaine, il y a eu l’effet blog. Je ne sais pas si c’est réellement à cause de moi, mais il me semble que la France est envahie de kiwis. L’intention est sympathique, je ne dis pas, mais tout de même, je ne peux plus serrer la main d’un maraîcher sans qu’il en profite pour me faire goûter ses kiwis. Et pas question de refuser, sinon, ces messieurs vous ressortent textuellement les vertus de ces kiwis que j’ai moi-même vanté.
J’ai changé de marché rapidement, je suis allé au village voisin, où l’accueil a été légèrement différent. Je ne vais pas vous expliquer en détail comment je l’ai deviné, seul le résultat importe, finalement, mais sachez que maintenant, j’ai un moyen infaillible de détecter les opinions politiques des maraîchers. Un maraîcher UMP offre un kiwi ou du raisin. Un maraîcher socialiste offre une orange d’un air narquois, et demande en souriant : « Vous voulez que je vous l’épluche, Monsieur le Président ? Vous pensez vous en sortir ? ». Et je m’en fous partout, je crache des pépins, j’ai le menton plein de jus, et ces salopards se poussent du coude en ricanant.
Je n’ose pas mettre les pieds en Bretagne, des pâtissiers à la rose ou des boulangers communistes vont me forcer à avaler des pleins plateaux de kouign amann en me disant : « J’espère que vous n’avez pas la France à diriger juste après ».
Bref, me voici responsable d’une fracture politique fruitière et d’une révolution socialo-pâtissière au sein du pays.
C’est gagné.
Le samedi était plus paisible. J’ai assisté à une retransmission d’un concert de musique africaine pour la lutte contre le paludisme, j’ai vu Mohammed VI qui m’a montré des photos de son gamin ( Hassan III joue avec ses cubes, Hassan III fait sa sieste, Hassan III mange sa purée, Hassan III a peur d’une vache en Seine-et-Marne… C’est bien simple, Mohammed VI est tout prêt pour se lancer dans l’écriture de livres pour enfants ), et j’ai remis le dossier sur les Seychelles qui traînait chez moi à Barnier, qui le cherchait partout.
Et dans une heure, j’ai un entretien avec un procureur. Pas pour moi, bien sûr. Non, au sujet de l’ex-Yougoslavie. Comme j’ai oublié mon dossier chez Barnier ( il s’était glissé dans celui sur les Seychelles ), je ne sais plus très bien ce que je dois raconter, il va falloir que j’improvise. Je devrais me constituer des discours en kit : « Au nom de la démocratie », « Pour la France et pour les Français », « La grandeur de la République », « Les valeurs de la Liberté bafouées de par le monde » Etc, etc…
Je suis sûr que ça se fait déjà dans d’autres pays.